Bonjour à toutes et à tous,
Je suis ravie de vous retrouver pour notre épisode mensuel consacré à la méthode d’écriture d’une ou d’un écrivain renommé.
Et aujourd’hui, sans plus attendre, je vous laisse deviner de qui nous allons parler avec un avant-goût grâce à l’un des plus célèbre incipit de la littérature mondiale :
“C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
– Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué ?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
– Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
– Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe ! s’écria sa femme impatientée.
– Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.“
Ah … Le savoureux incipit d’Orgueil et préjugés, je ne m’en lasse pas. J’ai dû lire ce roman environ 4 ou 5 fois, et chaque fois, je m’émerveille de la maîtrise narrative de son autrice.
Vous l’aurez bien sûr deviné, aujourd’hui, nous nous plongeons dans la méthode d’écriture de la grande, mordante et pétillante Jane Austen !
Mais juste avant de vous livrer les secrets de ses manuscrits, vous le savez, on commence par quelques repères biographiques.
Si vous préférez, vous pouvez également écouter cet article :
Jane Austen : biographie courte
S’il n’est pas vraiment besoin de présenter son célèbre roman Orgueil et Préjugés, il est peut-être en revanche utile de rappeler quelques faits sur la brève existence de Jane Austen.
Jane Austen est née le 16 décembre 1775 à Steventon, dans le Hampshire, en Angleterre. Elle naît au sein d’une nombreuse fratrie puisqu’elle est la septième des huit enfants de George Austen, pasteur anglican, et de Cassandra Leigh Austen. Elle a six frères et une soeur, Cassandra, dont elle sera très proche toute sa vie. La famille Austen appartenait à la petite noblesse campagnarde que l’on appelait jadis la GENTRY, classe sociale à mi-chemin entre la bourgeoisie et l’aristocratie. Pour l’expliquer simplement et car nous n’avons ps connu d’équivalent en français : il s’agit d’une classe de rentiers, qui ne travaillaient pas, contrairement aux bourgeois, mais dont les revenus étaient bien plus modestes que ceux de l’aristocratie anglaise.
Jane a passé une grande partie de sa vie dans le Hampshire, entourée de sa famille. Le grand luxe de cette famille nombreuse tout autant que leur péché mignon au vu du prix conséquent, c’est la lecture : malgré leurs revenus relativement modestes, la famille s’entoure d’une bibliothèque conséquente et l’alimente régulièrement, ce qui permet à Jane de développer un intérêt précoce pour la littérature et l’écriture. Son père lui autorise un accès illimité à sa bibliothèque, tout de même constituée de plus de 500 ouvrages, ce qui est conséquent pour l’époque. Elle reçoit principalement une éducation à domicile, dans l’écrin familial qui est suffisamment libéral en ce sens où toutes les idées sont débattues et admises. Les lecteurs fervents de Jane Austen pourront ici y voir une connivence assez frappante avec l’éducation d’Elisabeth et Jane dans Orgueil et Préjugés tout comme de la figure paternelle.
Encouragée par sa famille, elle a commencé à écrire des histoires dès son plus jeune âge, et ses premiers travaux comprenaient des parodies et des récits humoristiques, souvent écrits pour le divertissement de sa famille. Nous avons ainsi la trace de manuscrits qu’elle a écrit alors qu’elle n’avait que 12 ans.
Cependant, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’elle a sérieusement envisagé de devenir écrivaine.
En 1801, la famille Austen a déménagé à Bath, une ville à la mode à l’époque, où Jane a commencé à fréquenter les cercles littéraires et sociaux. Cependant, la mort de son père en 1805 a entraîné des difficultés financières pour la famille, les contraignant à se déplacer souvent. En 1809, ils s’installent finalement à Chawton, dans le Hampshire, dans une maison offerte par l’un des frères de Jane, Edward. D’ailleurs, c’est grâce aux frères de Jane, que Jane et mère ont pu continuer à subsister puisque Jane restera célibataire et ne trouvera pas d’époux, notamment en raison de sa dot trop modeste pour sa classe sociale.
C’est à Chawton que Jane Austen a écrit la majeure partie de son œuvre littéraire. Elle a commencé à travailler sur ses premiers romans, notamment “Raison et Sentiments” et “Orgueil et Préjugés”. Cependant, sa carrière d’écrivaine était loin d’être facile. Elle a rencontré de nombreux défis pour faire publier ses œuvres et comme beaucoup de femmes autrices, elle a souvent dû publier anonymement sous le pseudonyme de “A Lady” (une dame).
En 1811, son premier roman, “Raison et Sentiments”, est publié avec succès. Il a été suivi de “Orgueil et Préjugés” , le fameux, en 1813, qui est devenu l’un de ses romans les plus célèbres. Au cours des années suivantes, elle continue à écrire et à publier d’autres romans, dont “Emma” (1815), “Mansfield Park” (1814) et “Persuasion” (1817).
Malheureusement, la santé de Jane Austen commence à décliner dans les années 1810. En 1816, elle est gravement malade, et malgré des périodes de rémission, sa santé s’est détériorée rapidement. Elle décède le 18 juillet 1817, à l’âge de 41 ans, à Winchester, des suites d’une maladie non diagnostiquée, souvent spéculée comme étant la tuberculose.
Bien qu’elle n’ait pas connu un succès commercial important de son vivant, l’œuvre de Jane Austen est devenue extrêmement influente après sa mort. Ses romans sont devenus des classiques de la littérature anglaise, admirés pour leur perspicacité sociale, leur humour subtil et leur exploration des relations humaines.
L’œuvre de Jane Austen est, entre autres, une critique des romans sentimentaux de la seconde moitié du xviiie siècle et appartient à la transition qui conduit au réalisme littéraire du xixe. Les intrigues de Jane Austen, bien qu’essentiellement de nature comique, c’est-à-dire avec un dénouement heureux, par exemple avec l’union d’Elisabeth et de Darcy dans Orgueil et Préjugés, mettent en lumière la dépendance des femmes à l’égard du mariage pour obtenir statut social et sécurité économique. Sort réservé aux femmes et situation économique : voilà deux thèmes qu’elle explore dans toute son oeuvre.
Mais l’objet de cet épisode n’est pas d’entrer dans tous les détails de sa vie, penchons nous à présent sur ce que nous révèlent ses manuscrits et ses brouillons sur sa méthode d’écriture.
La méthode d'écriture de Jane Austen
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Jane Austen, dès ses débuts, était très soignée et méthodique. Adolescente, alors qu’elle écrit pour sa soeur et ses frères, bon en fait pour toute la famille, elle achète des carnets de note, ou plus probablement, son père lui procure des carnets de note tout comme il veille à toujours lui mettre du papier à disposition pour son écriture à elle et pour les dessins de Cassandra.
Mais, moi, quand j’utilise des carnets pour mon écriture et mes idées de romans, ce sont des brouillons, avec des phrases, des idées parfois sans queue ni tête, une écriture illisible que je rature au saut du lit, bref, ce n’est pas très joli à voir et franchement, personne d’autre que moi ne peut y comprendre grand chose.
Jane elle, même à douze ans, elle s’emploie rigousement à tout écrire proprement, à présenter ses carnets quasiment comme des livres finis, avec une table des matières, une écriture non raturée qui n’ont en somme, rien à voir avec des brouillons.
Ce qui est intéressant, c’est que ces carnets étaient bel et bien plus ou moins des livres dans la mesure où l’on sait que ces oeuvres de jeunesse, essentiellement satiriques, ont circulé au sein de cette famille nombreuse et ont probablement influencé sa méthode d’écritue par la suite.
Une fois adulte, même pour ses romans les plus célèbres, Persuasion, Raison et Sentiment, Orgueil et Préjugés, notre chère Jane continue de vouloir faire complexer tous les auteurs et autrices qui viendront après elle en digne précursseuse d’Hermione Granger – non, je n’ai pas d’amertume du tout en disant ça – et crée elle-même de petits livrets de papier qui lui serviront de brouillons. Ce sont des livrets qu’elle fabrique en toute petite dimension, entre 19 *12 cm voire pour certain, encore plus petits, de 15 cm * 9cm. Autant dire qu’il lui fallait écrire très petit.
A l’époque, c’était un procédé plutôt courant dans le monde anglo-saxon mais souvent, seul le recto était écrit du premier jet pour laisser la possibilité aux corrections de s’effectuer sur la page de gauche, le verso donc.
Jane, elle, et c’est là qu’on voit sa maîtrise narrative, couvre le recto ET le verso dès le premier jet, le tout avec une écriture extrêmement serrée et quasiment aucune marge. Contrairement à Victor Hugo par exemple, dont je vous avais expliqué le processus créatif dans un précédent épisode et qui composait tout sur des feuillets volants, changeant parfois radicalement de place un passage avec un autre au gré de son inspiration, Jane procède de manière méthodique et surtout quasiment d’une traite. La progression est implacable et la forme du livret l’invite d’emblée à proposer une version quasiment aboutie de ses romans.
En effet, ses manuscrits ne comportent que très peu de corrections et pour cause, elle n’a prévu aucune place pour les effectuer. Quand il y en a, elle les développe de manière minuscule entre les lignes voire, elle colle carrément des petits morceaux de papiers à la manière d’un patchwork pour rajouter un passage au sein de son manuscrit.
On sait également qu’elle était très rigoureuse, écrivant tous les jours, et donnait ses textes à relire à sa soeur Cassandra, sa complice de toujours et bêta lectrice attitrée.
Bien sûr, elle révisait malgré tout ses textes et les corrigeait : certaines pages sont raturées, d’autres ont ces fameux morceaux de papiers collés ou épinglés pour rajouter des passages. Malgré tout, on est loin des ratures sur ratures et insatisfactions chroniques de Flaubert par exemple.
On peut supposer que si Jane économisait le papier par souci financier vu les revenus modestes dont elle jouissait, cela se soit progressivement transformé en contrainte dont elle avait besoin pour se discipliner et recentrer son écriture sur un art dépouillé. Il faut imaginer l’effort intense de concentration dont elle devait avoir besoin pour fixer sa vision et écrire sans trop se raturer sur ces minuscules supports.
Cette épargne dans l’usage du matériau témoigne d’une économie et d’une sûreté remarquables dans la rédaction.
Quelques témoignages posthumes, provenant notamment de ses nièces, nous sont parvenus et semblent indiquer que si Jane n’utilisait pas de brouillons, du moins pas au sens assez volubile de feuilles volantes comme d’autres écrivains, c’est notamment parce qu’elle composait probablement une partie de ses pages dans sa tête, phrase par phrase, avant d’aller les poser sur le papier, notamment les dialogues, qui sont les passages qui sont les moins retravaillés dans ses manuscrits.
Le système général qu’on observe dans les brouillons d’Austen – des passages plutôt nets, sans corrections, interrompus par des sections densément remaniées – suggère non seulement que certains actes de genèse (la transcription des conversations) prenaient forme (dans sa tête) avant le moment de l’écriture, mais aussi que, en tant qu’écrivain, Austen était un auteur à processus (ou immanent) plutôt qu’à programme. C’est-à-dire qu’elle écrivait spontanément, en comptant peu sur des plans conçus à l’avance ou sur des notes (aucun n’a été conservé) ; et même si l’écriture évolue de manière fragmentaire, ces fragments sont déjà pleinement textualisés dès le départ, prenant de l’ampleur depuis le lieu qu’ils occupent à travers des strates de réécriture. En gros, Jane Austen était une autrice jardinière plutôt qu’architecte !
Malheureusement, aucun manuscrit de ses romans majeurs ne nous est parvenu et un certain nombre de lettres qu’elle échangeait avec sa soeur Cassandra ont été brûlés par cette dernière, ce qui fait qu’en la matière, on en est réduits à se fier à quelques bribes d’informations. De manière générale néanmoins, on peut sans trop se tromper, affirmer qu’elle était d’une rare minutie.
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